Siècle d'essor économique et démographique, le XVIIIe fut entre autres marqué par l'organisation et le développement des voies postales d'Ancien Régime, avec l'ouverture de lignes régulières.
La
Malle-poste
C'est dans ce contexte d'histoire postale que le service de la
poste royale aux chevaux a été concédée
à des aubergistes, souvent fermiers, établis généralement
au bord d'une grand-route. Ces relais de poste distant d'une quinzaine
de kilomètres sont tenus par ces maîtres de poste,
chargés de l'entretien des chevaux affectés aux
plusieurs courriers circulant par semaine. Aussi, pas moins de
trente-cinq relais s'étalent-ils entre Paris
et Bâle, que l'on relie alors en cinq jours. Trois sont
placés sur la nouvelle chaussée royale reliant Belfort
à Huningue, le plus important bureau de Haute Alsace en
raison de la présence de la forte garnison et de par les
relations postale avec l'Europe Centrale
qu'elle génère.
Au nombre de ces relais figure celui des Trois
Maisons, communément appelé "Posthoernle".
Situé sur une forte côte au point culminant (424m)
du ban de la localité de Helfrantzkirch, le relais de poste
jouissait d'une situation privilégiée, au croisement
de la grande voie postale susnommée et de la route des
pèlerins vers Mariastein (diocèse de Bâle
- canton de Soleure).
"Tres Domos", 1736:
La construction de la place forte de Huningue dès 1679
avait imposé une liaison directe avec l'autre cité
fortifiée par Vauban qu'est Belfort. La liaison primitive
Belfort - Delle - Maison Rouge (Muespach) - Huningue devait être
abondonnée dans la seconde décennie du XVIIIe siècle,
vraisemblablement en 1720, et remplacée par un itinéraire
plus court, à savoir Belfort - Chavanne - Altkirch - Les
Trois Maisons - Huningue.
Notons que la première mention des Hauts
du Pays de Sierentz apparaît en 1736, dans le registre des
baptêmes de la paroisse Saint Barthélémy en
ces termes : "Magister Postarum et Cauponista ad Tres Domos"
(Maître des postes et aubergiste aux Trois Maisons).
Ce dernier n'est autre que Joseph Gschwind, premier maître
de poste connu des Trois Maisons, composé de trois bâtiments
d'habitation, emplacement par ailleurs indiqué sur la carte
des grands géographes du Siècle des Lumières,
les frères Cassini.
La dynastie de Gschwind
De l'union
de Joseph Gschwind et Marie-Anne Reinhard sont issus sept enfants.
Deux sont à relever : Joseph Gschwind (né le vingt
juin 1738) sera le chargé d'âmes de Helfrantzkirch
à la Révolution. Déporté volontaire
en 1792, il devint sous le Concordat prémissaire à
Bartenheim avant de décéder en 1815.
Le cadet, Jean Bart, prit la succession de son père. En
effet, si les maîtres de poste se trouvaient être
des fonctionnaires royaux, assurant transport du courrier et des
voyageurs, bien vite leurs charges relèvent de la succession
familiale. La distance entre relais était appelée
poste, unité de tarification.
Le parcours Belfort-Bâle comptant 8 postes et demi dont Altkirch-Trois Maisons 2, et Trois-Maisons-Huningue un et demi. Si bien que le maître des postes altkirchois demanda expressément en 1773 que le parcours entre Altkirch et les Trois Maisons "soit compté pour deux postes et demi afin de tenir compte des côtes". Quelque deux ans plus tard, nous connaissons l'achat annuel de pas moins de 200 sacs d'avoine, par le sieur Gschwind, alors tenancier des Trois Maisons.
Une belle batisse en 1786
De la même époque (1786) date sans doute la construction de la maison de maître, encore visible actuellement, alors entourée d'imposantes dépendances.
Avec ses seize chambres, elle garde les traces d'une époque pas si lointaine où le rez-de-chaussée était affecté en totalité au restaurant et à la salle d'attente. Une demi-heure avant chaque départ, résonnait dans la paisible campagne environnante le son du cor. Plus visible malheureusement de nos jours, la girouette en métal, fixée sur la maison de poste, puisque arrachée lors d'un violent éclair nocturne en 1911.
En face de la bâtisse, se trouvait, depuis la fin de la Guerre de Trente Ans (1618-1648), une chapelle familiale, coiffée d'un clocheton et dédiée selon André Munck aux 14 saints intercesseurs. Un chapelain était attaché à ce petit lieu de culte rural.
Mulhouse devenue Française en 1798 allait dès lors attirer à elle le gros courrier, Huningue et ainsi les Trois-Maisons y perdant leur rôle poste primordial.
Jean-Beatus Gschwind quitta ce monde le 17 juin 1804 ; une croix détruite en 1945, proche de la chapelle fut frappée de ses initiales ainsi que celle de son épouse Marie-Thérèse Brodhag. Un de ses domestiques va devenir propriétaire non loin. Ainsi, vendue comme bien national à la Révolution, la ferme du Windenhof (Willer) est vendue par Salomon Katz, un juif de Cernay, en date du 16 août 1809 Jean-Jacques Jäcker, de Mimliswil (canton de Soleure), employé comme domestique au relais de postes au chevaux des Trois Maisons
Le fils et successeur de Jean Beat Gschwind, François-Joseph, marié le 17 février 1814 dans une chapelle qui connut son propre baptême, vit son union enrichie d'une dizaine d'enfants !
Une des maisons part en fumée
L'invasion de la France consacra le déclin de l'Empire napoléonien. Une tradition orale veut que les Trois Maisons furent l'endroit présumé de la rencontre de trois souverains vainqueurs de l'empereur, celui d'Autriche et roi de Hongrie François 1er, celui de toutes les Russies, Alexandre 1er, et enfin du monarque prussien Frédéric-Guillaume. Il semblerait qu'ils se soient effectivement rencontrés, mais à Bâle en ce début janvier 1814.
Le 27 juin1815, un des trois bâtiments
fut la proie des flammes. Il y eut des combats entre coalisés
et troupes françaises au départ de Huningue assiégée.
Une nouvelle fois, le tsar Alexandre 1er passa les Trois-Maisons
en septembre 1815.
Le recouvrement foncier (1824) nous montre la grande maison entourée
d'écuries et grange pour le fourrage, sous les traits de
plume de l'ingénieur Jaegle.
Henner aux Trois Maisons
La Monarchie de Juillet y vit le séjour du grand peintre sundgauvien Jean-Jacques Henner (1829-1905) quelques jours durant afin de réaliser les portraits de ses hôtes.
Mais cette monarchie du roi-citoyen s'avère aussi être l'époque de la révolution des transports, période d'apogée des communications routières, et celle de l'apparition des prémices du chemin de fer, moyen beaucoup plus rapide. Progressivement, la poste aux chevaux disparut au fur et à mesure de l'extension du réseau des voies ferrées.
Le règne séculaire de la diligence venait de s'achever, alors que commençait celui de la vapeur. Courant 1856, les services postaux du chemin de fer remplacent définitivement la malle-poste, avec l'ouverture, deux ans plus tard, de la liaison ferroviaire Mulhouse-Dannemarie.
Le déclin du relais
La trentaine, franc-maçon, et surtout fort endetté, le maître de poste d'alors Ignace Gschwind, vendit en octobre 1854, la petite cloche (50 kg) de la chapelle à la municipalité de Helfrantzkirch pour la somme de 505 F, celle-ci devait la placer dans un nouveau clocheton de l'école-mairie.
Détenues un siècle et demi par les Gschwind, les Trois Maisons sont par la suite vendues au Bâlois Charles Laroche, qui céda le domaine à la famille des actuels propriétaires, les Helterlin.
Natif de Heimersdorf où il vit le jour le 12 juin 1808, François-Joseph Helterlin regagna son Sundgau natal après un séjour de 14 ans en Amérique. Il devait acquérir la bâtisse principale et les 8 ha s'y rattachant pour la coquette somme de 12.000 F. Une exploitation agricole prit le relais. Le propriétaire décéda en 1867.
A gauche de cette ancienne maison de poste, la seconde ferme fut acquise par Auguste Specker, démontée et transportée de toute pièce dans la localité voisine de Stetten, où elle est toujours visible. Bicentenaire, la chapelle devait être détruite, à la même époque.
L'actuel lieu-dit n'échappa pas à la construction, durant l'entre deux guerres, des fortins de la ligne Maginot sur les berges au lieu Aupara Jukerten.
Signalons enfin pour être complet, que depuis une vingtaine d'années, la maquette du relais postal des Trois-Maisons, réalisée par M. Buret, se trouve au Musée d'histoire des PTT d'Alsace à Riquewihr, lequel abrite les belles collections des Amis de l'histoire de la poste régionale.
Paul-Bernard Munch
Notes & Bibliographie
Notes d'Histoire sur Helfrantzkirch - DNA 3 janvier 1987
Paul Leuilliot - L'Alsace au début du XIXe siècle,
tome 2, page 215